INRS Harcèlement moral au travail

Publié le par marsaud sylvain

 


Le harcèlement moral au travail

 


Le harcèlement moral au travail touche de très nombreux salariés dans toute l'Europe, il s'inscrit dans les préoccupations législatives actuelles. Comment ce phénomène, à l'œuvre dans certaines entreprises comme dans certains services publics, se manifeste-t-il ? Quels en sont les impacts sur ceux qui le subissent, comment peuvent-ils s'en sortir ?… Marie Grenier-Pezé, chercheur au Groupe d'études sur la division sociale et sexuelle du travail1 et psychanalyste assurant une consultation "Souffrance et travail", a participé au dossier consacré à ce sujet par la Revue Travail genre et sociétés2. Elle propose une analyse de cette technique de destruction.

La réalité du harcèlement moral au travail n'est pas contestée ; l'existence de pratiques délétères délibérées (menace, chantage, harcèlement), érigées en méthode de management pour pousser à l'erreur et permettre le licenciement pour faute ou déstabiliser et inciter à la démission, est désormais reconnue. En France, le projet de loi sur le harcèlement moral au travail le définit comme les agissements répétés (…) d'un employeur, de son représentant ou de toute personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions, qui ont pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité et de créer des conditions de travail humiliantes ou dégradantes
3.
Les premières approches du harcèlement moral, élaborées à partir d'histoires personnelles de souffrance et de violence au travail, ont été cliniques. La redoutable efficacité du harcèlement ne peut s'expliquer sans une compréhension des enjeux psychiques liés à la situation de travail. Des liens complexes existent, en effet, entre la vie professionnelle et l'histoire personnelle du sujet ; les activités mentales du travail comme les gestes du travail d'une personne s'inscrivent dans l'histoire socio-culturelle de cette personne, dans une dynamique identitaire et sexuée élaborée depuis l'enfance.
Le harcèlement au travail "contraint" le corps, il s'attaque aux gestes de travail, rendant leur exécution aléatoire, paradoxale, humiliante, jour après jour. La répétition des brimades, vexations et injonctions paradoxales devient une véritable effraction psychique, altère le rapport du sujet au réel et suspend tout travail durable de la pensée. Toute issue mentale ou comportementale est bloquée, le sujet ne peut plus penser ni agir. L'analyse de cette situation d'impasse décrite par les sujets harcelés met à jour leur isolement, leur décompensation inévitable dans cette situation et leur très fréquente somatisation.
Les entretiens avec les patients harcelés
4 mettent en évidence que le harcèlement utilise un système de déstabilisation très précis reposant sur de véritables techniques : techniques relationnelles (le harceleur n'adresse plus la parole au sujet, ne communique avec lui que sous forme de notes, ne le regarde plus…), techniques d'attaques du geste du travail (on lui demande de saisir un rapport que l'on jette devant lui, d'exécuter des tâches impossibles, qui n'ont aucun sens, qui sont déjà faites…), techniques punitives (dès que le sujet, sous pression, commet une erreur, on fait un rapport pour faute…), enfin techniques d'isolement du sujet destinées à empêcher toute solidarité du groupe de travail avec le harcelé.

L'attaque récurrente de ses compétences, la mise systématique en situation de justification, le climat "persécutoire" qu'engendre la fréquence des avertissements deviennent des leviers traumatiques puissants. Le harcelé réagit par une hyper vigilance, un surinvestissement de la qua- lité de son travail. Cet activisme est défensif, le sujet se sent usé, humilié, abîmé, incompétent, et développe un syndrome de stress post-traumatique
5.
Pour tenir dans ces situations de souffrance au travail, les sujets ont tenté d'abord de mobiliser des mécanismes de défense individuels et des stratégies collectives de défense. Pour exister, ces stratégies collectives qui soudent un groupe autour de valeurs communes nécessitent une confrontation des positions éthiques de chacun, sur la base d'une confiance partagée. Mais les nouvelles formes d'organisation du travail ont profondément transformé les relations dans les groupes de travail ; la précarité a entraîné l'intensification du travail, neutralisé la mobilisation collective, généré le silence et le chacun pour soi : ne rien entendre, ne rien voir, ne rien dire. La peur de perdre son emploi a induit des conduites de domination ou de soumission
6.
Dans de telles situations, la souffrance éthique découle de l'effritement de l'estime de soi d'une part, de la culpabilité envers autrui dont on ne prend pas la défense d'autre part. Pour conjurer le risque d'effondrement, la plupart des sujets construisent des défenses spécifiques. La honte est surmontée par l'intériorisation des valeurs proposées, c'est-à-dire la banalisation du mal dans l'exercice des actes civils ordinaires. Le cynisme dans le monde du travail est devenu un équivalent de force de caractère. Il faut appartenir au groupe dominant, adhérer aux nouvelles valeurs de l'entreprise. La tolérance à l'injustice et à la souffrance infligée à autrui est érigée en valeur "virile". Une virilité sociale qui se mesure à la capacité d'exercer sur les autres des violences dites nécessaires. Plus les conditions de travail se durcissent, plus ces défenses se rigidifient, poussant les attitudes à la caricature.

La "déconstruction" d'un sujet existe dans les rites d'initiation de certaines sociétés qui voient dans ce traumatisme un levier de transformation et de renaissance de l'individu (voir encadré ci-contre). Mais à l'inverse de ces rites qui ont pour objet l'affiliation à une nouvelle communauté, le harcèlement moral est une véritable technique de destruction qui vise délibérément la décompensation du sujet afin d'obtenir sa reddition émotionnelle à des fins économiques ou de jouissance personnelle. Attaque du corps et effraction psychique grave, il a pour but ultime la désaffiliation du sujet de la communauté d'appartenance.       

                                                             

Chez les Béti du Cameroun, le rituel initiatique So transforme les jeunes garçons en hommes adultes ; le passage d'un état à l'autre est organisé socialement, en quatre temps : mise en valeur de l'enfant, déconstruction pour briser l'identité initiale, reconstruction, accueil dans le grand groupe. La phase de déconstruction est faite d'injonctions paradoxales, la phase de reconstruction d'épreuves difficiles mais non humiliantes au terme desquelles les jeunes deviennent des hommes inclus dans leur nouvelle communauté d'appartenance.
(Sironi Françoise, Bourreaux et victimes : psychologie de la torture, éd. Odile Jacob, 1999)

Interrompue à temps, la situation de harcèlement demeurera une parenthèse noire dans la vie d'un sujet. Si elle est poursuivie trop longtemps, les séquelles psychiques et somatiques peuvent être définitives et constituent un enjeu de survie individuelle et de santé publique majeur. Un travail devra se faire sur les atteintes identitaires, l'effondrement dépressif, la décompensation somatique ; il sera nécessaire d'énoncer le vrai et le faux, le juste et l'injuste à un patient dont l'organisation éthique individuelle a vacillé au contact de valeurs institutionnelles devenues contradictoires.
Pour affronter la résistance du réel, la contrainte des limites du code du travail et les enjeux sociaux de pouvoir, des réseaux de cliniciens ont mis en place des pratiques de coopérations entre les différents acteurs de soins : le médecin du travail qui écoute le sujet, cherche avec lui une solution en adéquation entre sa santé et son poste de travail, et porte la question dans l'entreprise ; le médecin généraliste qui va prescrire arrêt et/ou traitement ; le médecin inspecteur du travail qui est en position de tiers, tant auprès du patient que du médecin du travail ; le psychanalyste qui va aider le patient à analyser les leviers traumatiques utilisés contre lui ; le médecin-conseil qui peut soutenir la transformation de l'arrêt maladie en accident du travail ou en maladie professionnelle, pointant juridiquement la responsabilité de l'employeur.
Ces pratiques mises en place par les acteurs de soins et de prévention, nouveaux tisseurs de liens, contribuent à la rupture de l'isolement du sujet, lui permettent de rejoindre un nouveau collectif de travail, thérapeutique et centré sur lui, de reconstruire un lien social.

Référence :
Contrainte par corps : le harcèlement moral, Marie Grenier-Pezé, in Harcèlement et violence, les maux du travail, dossier de la Revue Travail , Genre et Sociétés, La revue du Mage, 5/2001, L'Harmattan.

Au sommaire également de ce dossier : Introduction (Chantal Rogerat) - L'auscultation de la violence dans l'entreprise : des médecins du travail parlent (Fabienne Bardot) - Le mal-être au travail, comment intervenir ? (Damien Cru) - Harcèlement moral, harcèlement sexué ? Les difficultés d'une approche juridique (Paul Bouaziz).
Contact : Secrétariat de rédaction de la Revue , Anne Forssell, tél. : 01 40 25 10 37 - mél : tgs@iresco.fr
Adresse du site web : http://www.iresco.fr/revues/tgs/

1 GERS, CNRS-Université Paris 8.

2 Voir référence.
Elle interviendra également lors du colloque Stress au travail : causes, effets, prévention, organisé à l'Assemblée nationale le 13 juin dans le cadre des Rencontres parlementaires Santé-Société-Entreprise (voir rubrique "Colloques" page 35).

3 Le texte précise qu'aucun salarié ne pourra être sanctionné ni licencié pour avoir témoigné de tels agissements.

4 Ces entretiens ont été conduits dans le cadre de la consultation "Souffrance et travail" assurée par Marie Grenier-Pezé. Son étude s'appuie notamment sur plus de 100 expertises pratiquées à la demande de médecins du travail.

5 Affects de peur et de terreur sur le chemin du travail, état de qui-vive, anxiété avec manifestation physique (tachycardie, tremblements...), cauchemars intrusifs, réveils en sueurs, insomnie, retour en boucles des scènes d'humiliations, pleurs, désarroi identitaire, restriction de la vie sociale et affective, atteintes cognitives et somatiques…

6 Certains par exemple se plaignent d'un harcèlement que quelques mois plus tôt ils ont vu exercer sur autrui sans intervenir ou bien pire, pour garder leur place, en apportant leur témoignage à charge.

        

 

 

 

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L
<br /> PROSELYTISME SUICIDES, DISCRIMINATION, ET CONDITIONS DE TRAVAIL DE PLUS EN PLUS DEPLORABLES, des vérités qui dérangent certains hauts fonctionnaires de la Mairie de Paris. Voilà ce qui se passe réellement dans certains services de la Ville, des Agents qui signalent depuis plusieurs années par des rapports, des plaintes déposées à la Police, le Prosélytisme qu’ils subissent sur le lieux et temps de travail, le harcèlement, la discrimination, les suicides, les dépressions. Certains agents sont depuis plus d’un an en dépression, d’autres dans de très grandes détresses morales. Qu’a fait la Maire de Paris depuis ? Pourtant saisi du dossier, Qu’a fait le service de la Médiation de la Ville de Paris ? Pourtant saisi du dossier, Qu’a fait la Direction des Ressources Humaines ? Pourtant saisi du dossier,  Qu’a fait cette cellule Discrimination Harcèlement ? Pourtant elle aussi saisi du dossier, Qu’a fait le service médical de ville, Là aussi saisi du dossier. RIEN, rien n’a été fait depuis 2001 à part des enquêtes à charge contre ceux qui dénoncent et  ce malgré la loi de protection du fonctionnaire. Une enquête à charge a même été instruite par une Direction complice  contre les victimes de ces agissements de (prosélytisme sur le lieu et temps de travail). Des faux témoignages  ont été stockés dans les dossiers administratifs des victimes, ainsi que des lettres anonymes. Certaines victimes vont être jugés par un conseil de discipline plus que douteux où siège des membres d’un syndicat maison qui est parti prenante dans cette affaire.  Certains agents auditionnés par cette direction  ont remis en cause les témoignages apportés par les victimes au moyen de tracts diffamatoires diffusé par ce syndicat maison. ((Traitant les agents, de Gestapo et de Kommandantur)) (Un des délégués de ce syndicat maison propose même des logements à ces adhérents !!!  Pour se protéger du scandale,  la SGD, complice de cette Direction rajoute des fausses pièces dans les dossiers administratifs des agents.  Un syndicat dénonce ces disfonctionnements et demande l’annulation de ce conseil, pour plusieurs motifs : (le conseil de Discipline ne peut être juge et parti, les dossiers des victimes sont parsemés de faux témoignages et de signes distinctifs >) La DRH de la Mairie de Paris reste très silencieuse !!! <br /> LES NOMBREUX AGENTS VICTIMES DE  HARCELEMENT, ET DE DISCRIMINATION  N’ONT AUCUNE CONFIENCE au CPHD de la DRH de la MAIRIE DE PARIS…<br /> Les dossiers qui ont été transmis aux associations d’aides aux victimes seront bientôt diffuser sur Internet dans toutes les langues. <br /> Suite à cette affaire de  (PROSELYTISME), des fonctionnaires sont détruits dans leur travail et dans leur vie familiale,  alors même qu’une élue  de cette même administration  mais en garde les Parisiennes et les Parisiens de la dangerosité  de ces mouvements à caractères sectaires.<br /> Afin de respecter les droits de chacun, toutes personnes quelque soit sa religion, ses opinions politiques, ou ses positions syndicales, doit en toute libertés pouvoir adhérés au mouvement de son choix sans subir l’absolutisme de certains de ces collègues ou de ces supérieurs hiérarchiques.<br /> La Mairie de Paris à le devoir de protéger ces fonctionnaires victimes d’influences préjudiciables sous toutes ses formes.<br /> Merci de bien vouloir nous communiquer vos remarques à ce sujet.<br />  <br />
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E
Mon cri de douleur dans la nuit <br />      En raison de l’injustice extrême qui m’a été faite, je m’accorde la liberté de m’exprimer haut et fort pour faire comprendre à l’Humanité à quel point les fondements mêmes de ses Valeurs sont atteints lorsqu’on accorde l’impunité à de dangereux irresponsables inhumains, généralement multirécidivistes.<br />      Victime de Harcèlement Moral, je ne peux pas accepter l’idée d’avoir été tant spolié dans ma relation avec un employeur, multinationale américaine.  J’ai connu la spirale infernale chômage - dépression – alcool et j’ai été, la corde au cou, à quelques millimètres de basculer dans une mort solitaire un après-midi d’hiver en forêt.  Je manque de mots pour parler de cette époque.<br />      A priori, les responsables ont poursuivi leur brillante carrière avec leurs promotions habituelles.  L’ex-DRH, qui avait eu le bon goût de m’offrir un licenciement sadique en réponse à ma dénonciation de la situation de Harcèlement Moral qui m’était faite, appartient toujours au comité de direction du site.<br />      Les frais de justice n’ont pas été très élevés ; les jugements non plus.<br />      Si l’on omet les préjudices causés à moi-même et à une part de mon entourage proche par la faute de cet employeur, il reste un coût socio-économique exorbitant : les frais de santé occasionnés, dont 2 hospitalisations en urgence, plus de 5 mois de cure, un long suivi médical… et surtout la perte liée à six années de quasi inactivité professionnelle d’un cadre supérieur, ingénieur de haut niveau, perte que j’estime énorme, en toute modestie.<br />       Je reste aussi redevable de la Vie à tant de personnes : mon entourage, auquel je demande pardon, ses professionnels de Santé qui m’ont tant appris et se donnent tant, et tous mes amis ou rencontres d’un jour qui m’ont tendu la main.<br />       J’étais hier soir à une réunion à laquelle assistait une personne manifestement en détresse : j’ai entendu sa souffrance et reconnu l’emprise perverse liée au Harcèlement Moral, et je ne peux pas dormir parce que son cas relève du SAMU Psychologique et je n’ai pas donné l’alerte.  On ne peut plus dormir avec le Harcèlement Moral : il faut agir, et vite !<br />       Il est écrit que la justice est rendue au nom du Peuple.  Quel individu de quel peuple pourrait souhaiter à autrui un tel destin ?<br />       Quelle Loi instaurera un droit au bien-être à chacun d’entre nous ?  Mais quand appliquera-t-on enfin les lois ? <br /> ElaX
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